Sciences Années 70 – Jean-Marie Caillé – Résumé de la conférence
Ce discours abordera les rapports, souvent conflictuels, entre le texte et l'image, dans l'humanité et la société d'une part, puis dans la médecine d'autre part. Il mettra ainsi en évidence certaines similitudes en termes d'évolution, de démarche intellectuelle et de conflits.
L'image a un double rôle, pédagogique et historique. Elle permet de fixer un temps momentané de l'évolution humaine. Au moyen âge, l’image est sacrée et permet de donner au commun des mortels une idée de la représentation actualisée (pour son époque) du monde qui l'entoure.
Entre les XIVème et XVIème siècles, quatre grandes révolutions vont avoir lieu :
- L'invention de l'imprimerie
- La découverte du nouveau monde
- La révolution copernicienne
- La Réforme
Elles vont largement contribuer à désacraliser l'image, et favoriser l’avènement du texte.
A l’heure actuelle, on assiste à une nouvelle sacralisation de l’image, notamment à travers les médias comme la télévision (les écrans nous regardent plus que nous ne les regardons), mais aussi dans la publicité, la bande dessinée...
Notre époque est marquée par un véritable terrorisme de l'image sociale face au texte.
La médecine n'est probablement pas une science. Selon Hippocrate, qui l'a séparée le premier de la philosophie, c'est un art qui associe trois acteurs : le malade, la maladie et le médecin.
La médecine apparaît dès le début de l'humanité, quand l'homme se tourne pour la première fois vers un autre homme pour lui confier sa douleur. C’est l’instauration de cette relation entre deux individus qui définit la médecine.
La médecine est donc avant tout du verbe, du texte et un rapport à l'autre. A cela on ajoutera par la suite la technique.
Pendant tout le moyen âge, et jusqu'au XIVème siècle, Galien, qui succède à Hippocrate et à l'Ecole d'Alexandrie, fait régner une véritable terreur sur la médecine. C'est un "terroriste de la médecine", appuyé par l'Eglise. Les images de cette médecine sont :
- thérapeutiques : on promène des images pieuses pour combattre la peste pendant les épidémies (litanie septiforme).
- pédagogiques : elles ont pour fonction d’illustrer la préparation de médicaments, la façon de traiter certaines pathologies comme l'épilepsie, de représenter le corps…
Le XIV ème siècle : une médecine plus expérimentale
Au XIVème siècle apparaît une médecine beaucoup plus expérimentale qui s'appuie sur des données anatomiques authentiques. L'Ecole de Montpellier est beaucoup moins inféodée à l'Eglise que ne l'est celle de Paris. Henri de Mondeville et Guy de Chauliac y pratiquent la première dissection. L'anatomie, bien qu'approximative, fait son apparition.
De Bichat à Charcot va se développer la méthode anatomo-clinique qui va conduire à la sacralisation du texte dans la démarche médicale. Le texte, c’est avant tout l'observation clinique et l'examen du patient. Il faut interroger, écouter, examiner, palper, inspecter. A la suite de Charcot se formeront de grands sémiologues, mais la sacralisation de la sémiologie finira par aboutir à une sorte de vitrification de la pensée médicale.
C’est en 1895, Roentgen effectue la première "ombre chinoise" de l'imagerie médicale : une radiographie de la main de son épouse. Cette technique, en se développant, permettra de réaliser les premières angiographies artérielles. Toutefois, elle ne permet de déceler ce qu'il y a d'anormal que sur les os ou les artères, mais on ne peut pas encore visualiser les tissus. Le véritable talent du radiologue est donc alors d'imaginer ce qu'il y d'anormal entre les artères.
Avant les années 70, la clinique l'emporte toujours sur l'image, malgré les progrès de la radiologie. Les radiologues sont d'ailleurs considérés comme des "photographes". L'imagerie médicale ne pèse encore aucun poids sur la décision finale du médecin, sauf dans des cas évidents tels que les fractures ou les atteintes pulmonaires de la tuberculose.
Les années 70 sont marquées par la sacralisation de l'image numérique. Le scanner est une invention déterminante. Cette technique permet désormais une visualisation évidente des anomalies. La puissance informatique en développement à l'époque permet de mesurer la densité d'absorption des rayons X pixel par pixel et de reproduire ainsi la structure étudiée.
Les débuts sont lents mais on commence à visualiser le parenchyme.
Les images deviennent vite criantes de vérité et les pathologies évidentes. L'examen est atraumatique et la manipulation peut être effectuée aisément.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui se développe par la suite permet un affinement de la technique. On peut désormais mettre en évidence une lésion minime responsable des crises d'épilepsie chez un patient.
Tout a alors changé. Les possibilités de diagnostic ont considérablement augmentées. Désormais, le texte a tort, l'image triomphe systématiquement. Elle invalide très souvent la clinique.
On ne se contente plus de diagnostiquer des pathologies. La médecine utilise ses nouveaux outils d'imagerie pour comprendre le fonctionnement de l'être humain, notamment de son cerveau. L'IRM permet de visualiser les zones du cerveau qui s'activent quand celui-ci est soumis à un stimulus particulier. De manière générale, on peut dire que le cerveau fonctionne à l'économie. Dès qu'il y a anomalie ou désordre, les aires sollicitées s'agrandissent et on observe d'avantage d'activation.
Aujourd'hui l'évolution continue et la tendance actuelle est à l'imagerie cellulaire (ou moléculaire). On cherche à trouver un vecteur qui va se fixer sur une catégorie de cellules, normales ou pathologiques.
Ainsi, des nanoparticules chargées en fer permettent de visualiser les zones lésées dans le cerveau de souris atteintes d’encéphalopathie.
Invention de maladies
L’image détecte des choses alors qu'il n'existe aucune symptomatologie. Elle invente des maladies alors qu'il n'existe pas de malades.
Preuve médicale ou juridique
L’image peut être utilisée comme "preuve médicale" pour démentir les plaintes d'un patient qui n'a rien.
Elle peut être utilisée comme "preuve juridique" : la médecine et la justice font souvent alliance lors de cas d'expertise psychiatrique. On ne tardera pas à utiliser l'imagerie fonctionnelle pour diagnostiquer la folie, par comparaison à un sujet sain.
Le triomphalisme imbécile
Certains pensent avoir tout compris grâce à l'imagerie qui descend aujourd'hui au niveau moléculaire du fonctionnement du cerveau humain. Mais l’imagerie n’aura jamais accès à l'âme des patients et à ce qu'ils pensent…
La méthode anatomo-clinique actuelle consiste à attendre que les symptômes apparents disparaissent grâce au traitement le plus léger possible. On n'a recours à l'imagerie qu'en cas de syndrome important et flagrant.
Or les images représentent aujourd'hui une puissance de diagnostic phénoménale.
Il faudrait donc élaborer et enseigner une nouvelle médecine qui, tout en prenant en compte le rapport verbal indispensable au patient, le fasse bénéficier des meilleures techniques d'imagerie, dès l'apparition de premiers symptômes.