Sciences Années 70 – Jean-Jacques Kupiec – Résumé de la conférence

 

Le rôle du hasard en biologie moléculaire

 

Déterminisme et probabilisme

Le déterminisme et le probabilisme sont les deux systèmes permettant d’appréhender les phénomènes naturels.

·                Déterminisme : une cause entraîne un effet certain (p=1)

 

·                Probabilisme : une cause entraîne un effet probable (0<p<1)

o        Un système probabiliste est reproductible statistiquement : détermination de deux variables : moyenne et variance

 

o        Loi des grands nombres : quand le nombre d’essais devient très grand, la variance devient très faible

 

Dans la nature, il y a des phénomènes fondés sur des événements aléatoires mais qui semblent des phénomènes déterministes à l’échelle de l’observateur.

 

Impact de la physique sur le déterminisme biologique

Dans les années 30-40, les physiciens sont à la base des premiers groupes de recherche et de réflexion en biologie moléculaire.

En 1944, dans son ouvrage « What is life ? », le physicien Schrödinger pose la question de l’origine de l’ordre dans les systèmes naturels.

 

L’ordre en physique

En physique, les atomes ont des comportements aléatoires (notion de désordre). A grande échelle, c’est le comportement de milliards d’atomes qui est observé et qui permet d’établir des équations déterministes (notion d’ordre).

Si l’on verse une goutte de vinaigre dans un verre d’eau, elle va toujours se diluer de façon identique, si l’expérience est répétée dans des conditions similaires : le désordre individuel des particules de vinaigre devient l’ordre de l’ensemble (la goutte de vinaigre).

En physique, le principe d’ordre naît du désordre

 

L’ordre en biologie

En biologie, la loi des grands nombres n’est pas applicable car n’est en jeu qu’un trop faible nombre d’individus : les gènes. Il existerait un ordre moléculaire, au niveau des gènes, d’où découlerait l’ordre du phénotype, c.a.d. de l’être vivant.

En biologie, le principe d’ordre naît de l’ordre


 

Du génotype au phénotype

Notion de stéréospécificité

Dans les années 60, on assiste à une explosion de la biologie et de la génétique moléculaires.

Une propriété, celle de stéréospécificité (littéralement spécificité solide) va servir de pierre angulaire à l’élaboration du réductionnisme génétique.

Ce concept est directement importé de la philosophie d’Aristote. La spécificité est ce qui appartient en propre à un objet et qui en fait une espèce.

Par exemple, un carré est composé de quatre côtés égaux formant entre eux quatre angles droits.

 

En biologie, les molécules biologiques s’emboîtent de manière spécifique, comme un puzzle, selon leur charge électrique et leur structure dans l’espace. La structure finale est préfigurée dans chaque molécule.

 

Cette notion de stéréospécificité s’est étendue à toute la biologie moléculaire :

le gène a la protéine a le processus

 

Le modèle de Monod et Jacob

Cette vision fondée sur la stéréospécificité a conduit au schéma du paradigme du « réductionnisme génétique » développé par Monod et Jacob dans les années 70.

Grâce à la spécificité, on comprend la construction d’un organisme :

 

Gène

i

Molécule

i

Assemblage spécifique

i

Cellule

i

Récepteur / molécule d’adhérence

i

Tissu

i

Organe

i

Organisme

 

Les différents niveaux se superposent et l’on passe d’un niveau à un autre grâce à la spécificité.

Cette vision de la biologie a conduit à l’idée qu’en connaissant les gènes et leur système de régulation, on serait capable de décrypter l’étiologie de nombreuses maladies.


 

L’origine philosophique du modèle

L’arbre de Porphyre

L’origine philosophique de ce modèle est « l’arbre » de Porphyre, un philosophe néoplatonicien qui donne une explication à la philosophie d’Aristote.

Ce livre, à l’origine de la « Querelle des Universaux », tend à démontrer comment les espèces sont générées à partir des genres. En partant du genre le plus général (la substance) et en lui ajoutant une différence spécifique, on crée un sous-ensemble :

 

Substance

          i + différence spécifique

Corps

          i + différence spécifique

Corps animé

          i + différence spécifique

Animal

          i + différence spécifique

Homme

          i + différence spécifique

Individu

 

Ce modèle de classification des objets est également un modèle ontogénique.

 

Aristote et la génétique

Pour Aristote, la génération d’un objet relève de deux causes principales :

            - la cause matérielle (substance)

            - la cause formelle (forme)

Ainsi, une statue a une cause matérielle (l’argile) et une cause formelle (la forme qu’elle représente).

La cause formelle qui génère un homme est la somme de toutes les différences spécifiques.

La cause formelle d’Aristote et l’information génétique sont des « principes d’ordre à partir de l’ordre » de fonction identique.

 

La révolution copernicienne a conduit à l’effondrement du modèle de l’arbre de Porphyre. Seule la cause matérielle est conservée, la cause formelle est supprimée.

Ces modifications conceptuelles ont été intégrées par le monde des physiciens mais pas par les biologistes.

 

La spécificité existe-t-elle vraiment ?

Les molécules biologiques ne présentent pas le caractère de spécificité attendu. Ainsi, les molécules de régulation de l’activation des gènes peuvent se fixer sur de très nombreux gènes. Les séquences consensus sur lesquelles se fixent « spécifiquement » les molécules de régulation sont présentes en très nombreuses copies dans le génome.

La spécificité serait une notion métaphysique ne relevant pas de disciplines telles que la biologie car elle est non mesurable. On ne peut mesurer que des constantes d’association et de dissociation, permettant de définir l’affinité des molécules entre elles mais pas leur spécificité.

Toutes les molécules peuvent interagir entre elles, plusieurs structures sont ainsi possibles, plus ou moins probables.

Alors, comment, au final peut émerger une seule structure (l’homme adulte) ?

Il existerait des cofacteurs, assurant une combinatoire qui confère la spécificité.

Cet argument irréfutable est toutefois facile.

 

Du phénotype au génotype

Une nouvelle idée est que la contrainte sélective issue du phénotype modifie l’expression du génotype en triant les molécules dérivant du génotype.

Génotype n phénotype

Ainsi, l’hypothèse du tas de cellules introduit au niveau cellulaire la notion de sélection darwinienne.

 

L’expression des gènes n’est pas un phénomène déterministe mais un phénomène stochastique.

Chaque cellule peut changer d’état d’expression des gènes.

Le régulateur de l’expression des gènes peut bouger, et passer d’un gène à l’autre, il s’agit d’un mouvement aléatoire.

Grâce à l’aléatoire, les cellules s’adaptent à leur microenvironnement.

- Il existe dans l’organisme des gradients métaboliques.

- Toutes les cellules n’ont pas un accès identique aux substrats.

- L’environnement métabolique diffère pour les cellules selon leur position dans l’espace.

 

C’est la sélection naturelle elle-même qui explique l’émergence de structures pluricellulaires.