Sciences Années 70 – Jean Hauser – Résumé de la conférence
En matière de procréation, les lois françaises interdisent certaines pratiques (mères porteuses…) qui sont autorisées à l’étranger, ce qui contribue au développement du tourisme « procréatif ». Et les juristes doivent batailler pour obtenir des accords sur des normes internationales.
Le juriste n’est pas là pour enregistrer des faits, il est là pour les transformer.
Selon les mots de Jean Giraudoux (La guerre de Troie n’aura pas lieu), « Jamais poète n’a interprété la réalité avec autant d’imagination que les juristes ».
Ce pouvoir a-t-il disparu ? Le juriste n’est-il devenu qu’un simple enregistreur de faits, asservi aux décisions de la Science ?
Dans les années 70, on a cru que ce pouvoir de création des juristes allait disparaître face à la toute puissance de la science, mais il n’en fût rien, bien au contraire.
L’établissement de la filiation est un des domaines dans lesquels les juristes ont dû exercer leur pouvoir de création bien avant que la science ne soit en mesure d’apporter son point de vue.
Ce pouvoir provient de deux raisons principales.
Méconnaissance des faits
Pendant longtemps, une partie des faits est inconnue, la science ne sait rien et ne peut apporter de réponse. C’est au juriste d’interpréter la réalité.
A titre d’exemple, la loi musulmane applique la théorie de l’enfant endormi dans le sein de sa mère pour admettre des gestations de plusieurs années. Ce motif est également utilisé au Moyen Age dans la chrétienté pour éviter des retours de croisade difficiles…
C’est en 1804 qu’a lieu le premier échange véritable entre juristes et scientifiques. Portalis, en charge de rédiger le Code Civil, consulte l’académie de Médecine pour déterminer la durée d’une gestation, qui sera fixée à 180-300 jours.
Toutefois, à cette époque, la science est loin d’avoir apporté beaucoup d’éclaircissements puisque l’on croit encore qu’il ne pouvait y avoir de procréation lors d’un viol, « à cause de l’horreur supportée par la jeune femme »…
Maintien d’un ordre social
Les juristes ne sont pas en charge de la seule constatation des faits, car aucune société ne peut se constituer uniquement à partir de faits, source de désordre. Les juristes sont en charge d’une organisation de la société. Ils doivent bien sûr tenir compte des faits mais il leur incombe de les transformer pour les traduire en lois.
Dans les années 70, on a cru que la biologie allait commander la société.
Le 3 janvier 1972, la nouvelle loi sur la filiation précise que désormais, il n’y aura plus que de « vrais » enfants, avec de « vrais » mères et de « vrais » pères, car le moyen existe de les déterminer.
Jusqu’alors, la paternité légitime repose sur une vérité statistique puis sur le fait que le mariage est un engagement qui conduit le père à accepter par avance tous les enfants qui naîtront de sa femme.
Avant 70, la paternité légitime est entièrement aux mains des juristes. Seules les présomptions servent à régler les problèmes. Le raisonnement était basé sur la nécessité d’obligation alimentaire.
Le système juridique est là en effet pour découvrir non pas les vrais pères mais des débiteurs d’aliments.
Dans les années 70, le nouveau mot d’ordre est « mieux vaut pas de père du tout plutôt qu’un faux père ».
Mais on va vite se rendre compte que la complexité des situations ne permet pas de suivre les orientations proposées par la réalité biologique et que la société doit tenir compte du temps, de la durée juridique et non pas de l’instantanéité des faits.
La révolution scientifique, une nouveauté ?
La science actuelle n’est pas la seule à avoir bousculé la société en matière de filiation, d’autres bouleversements ont eu lieu bien avant :
- lorsque, dans les sociétés primitives, certains ont commencé à établir un lien entre rapport sexuel et grossesse
- lorsque les germains ont pris conscience des conséquences de leurs pratiques incestueuses, dénoncées par Tacite dans le De germania.
Le système juridique n’a jamais été la traduction immédiate de la biologie.
De nombreux cas révèlent à quel point les réponses apportées par les juristes sont parfois loin de la vérité scientifique, voire en contradiction totale avec les données biologiques.
Divisibilité de la filiation
Très longtemps, la filiation des enfants adultérins n’a pu être établie. Dans les années 60, on accorde aux enfants nés d’une femme célibataire et d’un homme marié la filiation maternelle, ce qui revient à considérer que la mère a eu un enfant toute seule… Cette situation correspond pour les juristes à la « divisibilité » de la filiation, ce qui est totalement aberrant d’un point de vue biologique.
Paternité dans le cas de l’IAD
Lorsqu’un couple a recours à une insémination artificielle avec donneur (IAD), la filiation paternelle devient totalement inattaquable. Le père « adoptif » est le père légitime, alors qu’il s’agit pourtant de la situation où la paternité véritable est la plus douteuse.
Ces exemples démontrent que le pouvoir de création des juristes demeure important, en dépit des avancées de la science.
Le cas du transsexualisme est un exemple où les juristes, en voulant suivre l’avis des biologistes, ont commis une erreur qui les a conduit à une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Les transsexuels, dans leur grande majorité, souhaitent faire modifier leur état civil. Cette question, soulevée dans les années 60, a apporté de grandes perturbations dans le système juridique.
Face à ce problème, la cour de cassation de Bordeaux a décidé de se référer à l’avis des scientifiques. Pour les scientifiques, la définition du sexe est chromosomique. Les chromosomes ne pouvant être modifiés, le sexe reste celui de la naissance et les juristes ont donc conclu qu’il était impossible de changer l’état civil d’une personne transsexuelle.
Or le problème pour ces personnes n’est pas biologique, il est avant tout social.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré que l’important était de savoir quel était le sort fait socialement aux transsexuels et a condamné les décisions françaises.
Les juristes ont alors estimé que, dans la mesure où ce changement d’état civil ne perturbait ni l’ordre public ni l’organisation sociale, il pouvait être accordé.
Désormais, la recherche de paternité naturelle semble ne plus poser de difficulté puisque l’expertise génétique permet de trancher la question. Mais cette certitude peut apporter plus de problèmes qu’elle n’en résout. L’orientation actuelle est donc de laisser le choix de cette démarche à la mère, au père ou à l’enfant majeur mais de ne provoquer en aucun cas cette recherche si elle n’est pas voulue.
Si l’enfant naturel est assumé par un couple, il n’y a pas de problème et la réalité biologique n’a pas à intervenir.
Deux techniques permettent d’établir la filiation : la filiation biologique présumée et la possession d’état. Cette dernière consiste à dire que lorsqu’un enfant a été élevé par quelqu’un pendant des années au titre d’enfant, la filiation est établie de facto, on ne peut y revenir. Au bout d’un certain nombre d’années, il faut donner la priorité à l’intérêt de l’enfant, à la construction de la société et non à l’intérêt de la science.
Les juristes ne sont pas en charge de la vérité car aucune vérité n’est bonne si elle n’aboutit pas à la paix sociale.
La vérité biologique doit céder devant la seule chose qui compte, qui est d’assurer autant que possible une vie correcte aux individus.
Le système juridique n’a qu’un but, celui d’assurer une certaine durée à l’homme mais pas de prévoir la durée qu’il assure.